Et si la robe de Kate Middleton était née à Grand-Couronne ?
Et si la robe de Kate Middleton était née à Grand-Couronne ?
Cette robe, qui a fait l’admiration des médias et de tous ceux que les princesses font encore rêver, comportait un important métrage de dentelle, dentelle fabriquée à Caudry sur les métiers Leavers.
Les Couronnais ont ils fait le rapprochement avec la toute petite rue “John Leavers” de leur commune ? Savent-ils que c’est dans l’usine de tulle, située à l’emplacement actuel du Conservatoire de Musique, que furent introduits, dans l’usine de M. Lefort, les premiers métiers à fabriquer la dentelle mécanique par ces mécaniciens anglais originaires de Nottingham, John et Thomas Leavers ? Ces métiers, installés d’abord à Grand-Couronne, ont fait ensuite la fortune de Caudry et de Calais. C’est toujours de ces métiers que sortent les plus belles dentelles.
La dentelle à la main était très prisée par les classes aristocratiques européennes depuis le XVIe siècle mais sa fabrication était longue et coûteuse. Aussi, à l’ère industrielle, chercha-t-on le moyen de la produire mécaniquement. On parvint d’abord à fabriquer le tulle qui était ensuite rebrodé à la main. En adaptant au métier à tulle la technique du procédé Jacquard, des ingénieurs anglais mirent au point les premiers métiers à dentelle dont le plus abouti était celui de John Heathcoat. Le dispositif rencontra un tel succès qu'il fut immédiatement adopté et perfectionné en Angleterre par d'ingénieux mécaniciens dont John Leavers. Le métier Leavers, qui se révèle le plus apte à recevoir un nombre croissant de barres - le nombre de barres définissant la finesse des motifs - et le seul permettant d'entourer mécaniquement le motif d'un gros fil, l'emportera sur ses concurrents. Ainsi, dans les années 1840, on parvint à imiter la “vraie dentelle. À la même époque, une autre mutation technique importante, la machine à vapeur, va faire entrer la fabrication de la dentelle dans l'ère industrielle. La cheminée de la machine à vapeur de l’usine Lefort se dressait encore à côté de l’église il y a quelques années.
On assiste ensuite à l'allongement progressif des Leavers. De deux mètres en 1840, leur taille a doublé en 1850 - elle atteint aujourd'hui 6 mètres et jusqu'à une dizaine de mètres. Grâce à des cartes perforées qui se déroulent comme celles d’un orgue de barbarie, le métier permet de reproduire l’entrelacement des fils. C'est de ces monstres d'acier, de fonte et de cuivre que sortent les plus fines dentelles.
Calais et Caudry ont bâti leur notoriété et leur prospérité sur le métier Leavers, mais dans ces villes on est extrêmement discret sur ce génial inventeur.
Qui était John Leavers ?
Né en 1786 près de Nottingham où son père vint travailler dans la construction de machines à tulle, il s'intéresse très tôt au métier de Heathcoat qu'il s'attache à perfectionner. Installé dans un grenier, il "travaille sans bruit, dans le plus grand secret, même à l'insu de la famille. Il confie la réalisation des bobines et autres pièces internes devant être aussi fines, précises et lisses que possible, à un parent, Benjamin Thompson, excellent ouvrier métallurgiste. Son métier sort en 1813 et plusieurs exemplaires sont alors construits en différentes dimensions et aussitôt vendus… " (d'après une descendante qui vit actuellement en Normandie).
" Un jeune manufacturier, actif et intelligent", M. Lefort, venait d'acquérir une petite usine de tulle à Grand-Couronne, mais s'occupait surtout de bonneterie, de blanchissage. "Si étendue était sa réputation comme blanchisseur que bien souvent il lui était envoyé des tulles d'Angleterre ou des filés pour le blanchissage, par petits bateaux charbonniers qui passaient ces produits en fraude à cause des droits et les débarquaient au Val de la Haye.
Appelé souvent en Angleterre pour des travaux de blanchissage, M. Lefort y avait rencontré deux ouvriers de Nottingham, d'une très haute valeur, les frères Leavers", qui venaient d'inventer leur métier à tulle. (G. Dubosc - Journal de Rouen - 31 décembre 1907)
M. Lefort fit monter leur métier dans son usine où ils produisirent de la dentelle. Ils étaient installés dans la partie de l’usine qui fait face au conservatoire ; le bâtiment de direction a été conservé, mais, malheureusement, il est en grande partie caché.
En 1821, John Leavers et une partie de sa famille vinrent s'installer à Grand-Couronne, peut-être pour échapper à des poursuites judiciaires avec Heathcoat dont le métier était encore protégé par ses brevets. Il s'y remaria, ses enfants y naquirent et il y mourut en 1848. Avec son frère, ils fondèrent la première société musicale de la commune. John Leavers ne fit pas fortune avec son invention et resta "mécanicien sur les métiers à faire des tulles" comme indiqué sur les registres d'état-civil de la commune, tout au long de sa vie professionnelle.
Les métiers Leavers furent ensuite introduits à Calais et dans d’autres centres denteliers. Des Calaisiens reprirent l'usine Lefort et l'exploitèrent jusqu'à la fermeture.
Un musée international de la dentelle s’est ouvert à Calais en juin 2010. Auparavant, la conservatrice s’est rendue à Grand-Couronne pour recueillir des renseignements sur John Leavers auprès de la Société d’Histoire. Une visite de ce musée ainsi que de celui de Caudry, tous deux installés dans d’anciennes usines, devraient intéresser les Couronnais qui pourraient voir fonctionner ces métiers et acquérir quelques morceaux de cette précieuse dentelle.
Sur l’usine de tulle : cf. Le frais et charmant Village de Grand-Couronne
Article de la Société d’Histoire de Grand-Couronne