XVIIIe siècle
XVIIIe siècle
Si l'agriculture ne connaît pas d'évolution importante, on a pu parler « d'âge d'or » du textile à domicile. En effet, dans les campagnes autour de Rouen, des marchands de la ville distribuent la matière première (la laine essentiellement à Grand-Couronne) à des fileuses et des tisserands qui sur des métiers domestiques, réalisent la fabrication des fils et des tissus, récupérés ensuite par le négociant. En 1701 une famille peut ainsi gagner 43 sous par jour (15 pour le père, 8 pour la mère,5 pour chacun des quatre enfants). Apparemment la rémunération est meilleure que celle du journalier agricole. Dès février 1714 l'archevêque de Rouen se plaint : « on abandonne la culture des champs... et on ne peut plus trouver du tout de bûcherons pour façonner les bois... à cause de l'activité textile dans les campagnes ». 1721 : Des récoltes se font difficilement " avec beaucoup de peine et d'argent " pour la même raison. Si bien qu'en 1725, le Parlement de Normandie défend aux toiliers et passementiers d'envoyer leur coton à filer au dehors... afin d'empêcher les habitants de la campagne d'abandonner la culture des terres (recommandation suivie d'effet ?). Passé le milieu du siècle, la situation se détériore : l'aune de toile, payée huit sols aux ouvriers en 1750, l'est sept en 1751. En effet, on commence à, reconcentrer la production en ville. La signature, en septembre 1786, du traité de commerce franco-anglais plonge toute la région dans la crise économique : les tissus anglais, fabriqués avec de nouvelles machines, reviennent moins chers.
Quand, à la veille de la Révolution (1788), la commission intermédiaire lance une enquête sur le paupérisme, le pessimisme est de mise : à Grand-Couronne, qui a alors 260 feux (un peu plus de 1 000 habitants), on compte plus de 200 fileuses et toiliers, 7 vieillards et infirmes, 12 familles nécessiteuses, mais 200 chômeurs sont prévus.
Les impôts pèsent lourds dans l'accroissement de la gêne. Le siècle a été fertile en nouvelles contributions : la capitation, rétablie en 1701, qui devait permettre à l'État d'imposer les privilégiés et était établie suivant le degré de fortune, devient en réalité un simple supplément à la taille toujours en vigueur. En 1710 apparaît le dixième sur les propriétés, les offices et les revenus industriels et commerciaux ; levé de façon épisodique, il est supprimé en 1749 ; on le remplace immédiatement parle vingtième sur tous les revenus ; mais, dans les campagnes, le plus impopulaire de toutes ces décisions fut lerétablissement en 1738 de la corvée, tombée en désuétude, sous forme de temps de travail consacré à la construction des routes et à divers travaux publics, les plus aisés peuvent y échapper par le rachat (somme versée à la place du travail. En 1778, elle est convertie en une nouvelle prestation en argent ou en nature (fourniture de cailloux, d'empierrement ou de transport, etc.).
D'autres fléaux accablent les masses rurales. Les aléas climatiques sont toujours redoutés (le plus connu étant le "grand hiver" 1709-1710, "funeste", "féroce"), sources de crise alimentaire et d'inflation démesurée du prix des grains.
Il faut compter aussi avec les épidémies qui affectent le bétail. Dans un village où l'élevage est la plus rémunératrice des activités agricoles, presque tous les bestiaux de la paroisse de Grand-Couronne de la "donne" en 1716. Une autre épizootie ravage les élevages en .1770.
Aussi, entre les périodes de détente où les récoltes sont satisfaisantes (printemps et étés chauds entre 1711 et les débuts des années 1730) on connaît des années noires. Les comptes de la fabrique de l’église pour 1739 sont fortement affectés : « la pauvreté des habitants empêche que l'on ne loue les bancs (de l'église) ».
Aussi les Couronnais sont-ils de plus en plus pointilleux sur l'utilisation de leurs biens communaux. Les procès se multiplient contre les paroisses voisines pour faire pâturer leurs bêtes dans les prairies. Moulineaux est particulièrement en cause (procès d'août 1732 à 1740) : on nomme un gardien surveillant les intrusions à la rigole Bigot. Ce poste figure encore dans les comptes de 1770. L'État continue à prétendre à la possession des prairies, mais, prudent, il se « contente » de faire payer de lourdes taxes à la communauté « pour être maintenue et confirmée en la possession et jouissance des communes prairies » ! 600 livres en 1735, 500 en 1744, alors que ces terres ne rapporte à la paroisse que de 700 à 800 livres, ce qui incite de riches propriétaires à lui prêter de l'argent et leur permet d'encaisser de confortables intérêts.
La forêt de Rouvray qui mesure alors 4 000 hectares (7 960 arpents) semble sortir de sa séculaire désolation. Le dynamique garde-marteau des eaux et forêts de Rouen, Jacques-Nicolas Rondeau à l'idée (1731) de transformer les landes et bruyères et tous les terrains « vagues et abroutis » en plantation de pins sylvestres ou maritimes, à partir de graines achetées à Bordeaux. En 1740, le Conseil d'État décide que le traitement des feuillus se fera désormais en demi-futaie avec révolution de 25 ans. En 1750 est lancé un plan de repeuplement de 400 arpents en bouleaux (qui d'ailleurs dépérissent rapidement), puis de 300 chaque année. Mais la lutte n'est pas encore gagnée. En 1754, 3 000 arpents ne sont encore d'aucun rapport, à cause des déprédations et de coupes exagérées.
À l'intérieur du village, l'histoire « politique » est marquée par un interminable seigneurial qui se place, cette fois, sur le terrain juridique. Ce nouvel avatar débute en 1753 lorsque l'abbaye de Saint-Pierre-sur -Dives, possesseur du fief de l'Épinette., vend celui-ci au sieur Louis de Pommeraye, un riche Rouennais « écuyer, conseillé du Roy, maître ordinaire à la Cour des Comptes de Normandie », avec tous les droits qui y sont attachés. Guillaume Haillet de Couronne, seigneur de Petit-Couronne et titulaire de l'autre fief du village de Grand-Couronne, le fief Deshayes, refuse que Pommeraye se pare des prérogatives anciennement réservées à l'abbaye et qu'elle négligeait beaucoup. C'est l'affrontement, porté tout de suite par un procès qui n'a pas encore trouvé son issue en 1789. Requête, mandement, plaintes, factums, se succèdent auprès de juges qui ne semblent pas pressés de prendre parti entre jean-Baptiste Haillet et Nicolas de Pommeraye qui poursuivent la querelle de leurs pères.
Parallèlement, la vie villageoise s'organise de manière de plus en plus rigoureuse. Des assemblées d'habitants se réunissent pour examiner les comptes du receveur choisi parmi les notables, comme d'ailleurs le syndic qui les représente tous avec le curé. Les « petites écoles » sont tenues par le vicaire qui reçoit, en 1763, 220 livres par an. Date capitale : en juin-juillet 1787 est créée une nouvelle hiérarchie d'assemblées provinciales, mais aussi de paroisses. Naît ce qu'on n'appelle pas encore le conseil municipal. Curé et seigneur en font partie de droit, avec de trois à neuf membres (selon la population) élue par l'assemblée des habitants. On substitue le régime représentatif des municipalités à celui de quasi-démocratie directe des assemblées générales. L'élection de septembre-octobre porte à sa tête le syndic Guillaume Cave.
Au 18e siècle Grand-Couronne a vu apparaître de nouveaux bâtiments, par exemple la « Maison blanche » en fait le lieu de résidence des Pommeraye, rénové dans les années 1780 ; le nouveau (et actuel) presbytère : au château du Grésil, la chapelle Sainte-Catherine bénie le 5 juillet 1734 ; des maisons bourgeoises comme celles du quatre rue Clemenceau achevée en 1765. Aux Essarts sont bâties des communs et la chapelle de la maison Saint-Antoine (1757). Par ailleurs en 1704, la chapelle Saint-Marc (alors sur le territoire de Moulineaux) est réunie à l'hôpital de Bourg-Achard. En ruine, et devenue « un asile de vagabond », sa démolition est autorisée en 1764. L'actuelle croix Saint-Marc est érigée en 1772.
L'église Saint-Martin, elle, est plutôt négligée : ainsi, ses chapelles Saint-Nicolas et Saint-Sébastien y sont interdites d'accès comme trop dangereuses, en 1739. Elle est « un peu découverte et une cloche (est) cassée », constate-t-on en 1752. L'argent manque ; ainsi un projet de « réparation urgente " à la nef, de novembre 1753, trouve-t-il sa concrétisation.
Enfin la ville de Bolbec ayant été, en juillet 1765, ravagée par un terrible incendie (800 maisons détruites), le Parlement interdit désormais de couvrir les maisons en paille ou chaume en agglomération (ce qui ne sera pas immédiatement appliqué à Grand-Couronne).