Le bombardement du 24 juin 1944
Que s’est-il passé le 24 juin 1944 ?
Un peu moins de trois semaines après le débarquement des forces alliées du 6 juin, celles-ci se rendent compte que la résistance allemande en Normandie est beaucoup plus coriace que prévu. Aussi la Royal Air Force anglaise et l’US Air Force américaine, multiplient-elles les attaques contre les voies de communications : routes, voies ferrées, ponts, ports… afin de rendre les transports ennemis plus malaisés encore.
La région de Rouen connaît un véritable pilonnage : Rouen, Sotteville, Quevilly, en particulier, vivent des jours de cauchemar. Grand-Couronne semble devoir échapper à ce sort. Le port y est encore peu important, les grandes usines fonctionnent au ralenti (SONOPA, PEC) ou sont arrêtées (Jupiter), la voie ferrée n’est pas vraiment stratégique. Aussi y a-t-il bien eu des attaques aériennes, mais très circonscrites. Conséquence : beaucoup de Rouennais, de Sottevillais, sont-ils venus s’y réfugier. On s’y sent presque en sécurité.
Il fait beau en cette fin de matinée du 24 juin : vers 11 h 45 les écoliers sont prêts à aller déjeuner, les employés vont cesser leur tâche du matin, et, comme chaque jour, des queues patientent devant boulangeries et boucheries, attendant que leurs tickets d’alimentation leur permettent de se procurer la maigre pitance quotidienne.
Tout à coup, au milieu des tirs de DCA (Défense Contre Avions), douze bombardiers Boeing, partis à 8 h 30 d’Angleterre et chargés de détruire des rampes de lancement de missiles allemands dans le Pas-de-Calais, surgissent au-dessus de la forêt des Essarts. Ils ont en effet renoncé à attaquer leurs objectifs, le ciel étant très nuageux dans le Nord de la France. Ils ont choisi un autre objectif : les stockages pétroliers (selon le rapport d’US Air Force). Ils larguent donc leurs bombes (180 au moins) à 11 h 46, d’une altitude de près de 7 000 mètres, et ratent leur cible de près de deux kilomètres. Un avion a été touché par la DCA.
C’est le centre de Grand-Couronne qui est affecté. Sont touchés : l’école de garçons (actuelle F. Buisson), la mairie (entièrement détruite dont tous les employés (sauf un) sont tués) la poste, la gendarmerie, des maisons rue Clemenceau, la cité SONOPA (40 maisons abattues, 58 autres atteintes), deux boulangeries anéanties, le matériel des pompiers, des conduites d’eau, etc.
Le bilan est terrible. On dénombre d’abord 112, puis 118, enfin 127 ou 128 morts. Parmi les victimes 21 avaient vingt ans ou moins ; la plus jeune treize jours. Des non-Couronnais de passage ou réfugiés figurent sur la liste.
La solidarité des survivants s’est vite manifestée, avec efficacité. L’Orangerie et le centre d’enseignement professionnel Reine Mathilde sont transformés en hôpital. La pharmacie Guilbert soigne et procure des médicaments. Interviennent rapidement : la Croix-Rouge, les médecins, les élèves des centres Reine Mathilde et Fayol, les pompiers de Jupiter, de La Bouille, les salariés des trois grandes usines, des volontaires de Grand-Quevilly.
Certains vont fouiller les décombres pendant plusieurs jours et, s’ils n’en sortent pas de vivants, ils en exhument les morts (4 le même jour à l’hôtel Scipion et à la poste). La cantine de Reine-Mathilde va servir 400 repas aux sinistrés.
Il fallut pallier, avec plus ou moins de réussite, la disparition des lieux publics. Ce qui restait des services municipaux fut transféré à l’école de filles, la gendarmerie s’installa rue Lefort dans le logement d’un gendarme, le bureau de poste rue Clemenceau au cours Périer. La perception fut la seule administration qui resta à son emplacement. Les autres furent plusieurs fois déplacées.
Cette tragédie a laissé une marque profonde dans l’histoire et les mémoires couronnaises. Pendant des années se posa le problème lancinant du relogement des sinistrés, des indemnisations et secours aux victimes. Il fut en effet détruit 7 000 m2 de logements, 1 000 m2d’immeubles agricoles, 1 500 m2 de bâtiments publics, 2 570 m2d’immeubles industriels et commerciaux, en tout 12 000 m2. La ville fut déclarée sinistrée à 44 %. Constructions provisoires et baraquements se multiplièrent. Comme dans toute l’agglomération rouennaise, la reconstruction fut lente. Songeons que les nouvelles mairie et poste ne furent inaugurées qu’en 1956, qu’on déterrait encore des bombes non éclatées à la fin des années cinquante.